Chapitre 2
Caducée était un petit garçon comme les autres. Il allait à l’école du village tous les matins et l’après-midi, il aidait son père à la forge. Braël était fier de son fils. Il était brillant, attentionné et naturellement sociable. « Voici un garçon qui aidera les autres » se disait-il. Toute son enfance et une partie de son adolescence, Caducée la passa à Flarine, auprès de sa famille et de ses amis. Tout le village le connaissait, certains l’aimait, d’autre moins, mais tous le reconnaissaient comme le fils de Braël, promis à un avenir et un destin extraordinaire.
Caducée aimait traîner avec Arkanis, un autre jeune du village à peine plus jeune que lui. Arkanis était le fils de Karnos et Armetis, deux grands sorciers qui s’illustrèrent dans la bataille de la mine de Mass, au nord de Flarine, où Uriel fut détruit, enfin c’est ce qu’ils pensèrent.
Kama et Koumkoum formaient, avec Caducée et Arkanis, une bande de joyeux lurons qui aimaient se retrouver après l’école sur la place du village pour jouer ensemble. Contrairement aux jeunes de leurs âges, tous les quatre jouaient à « On sera… » un jeu où ils s’imaginaient être tantôt de puissant sorciers, des assassins redoutables, des moines aguerris, prenant comme exemple d’illustres héros connu de tous, presque aussi anciens de Rhisis lui-même.
Mais un évènement important vint tout bouleverser…
C’était une journée comme les autres. Le coq venait de sonner le réveil du village tandis que les timides rayons du soleil pointaient lentement au-dessus des toits. Caducée, comme à son habitude, se leva péniblement en grommelant :
- Grr… saleté de piaf… Un jour tu finiras au bout d’une broche dans le four de maman… Pour une fois que je…
- Allez petite marmotte, c’est l’heure de la toilette. Cette voix douce et sucrée était la plus divine de toute les voix. Caducée aimait entendre la voix de sa mère au réveil, ça le rendait de bonne humeur. En traînant les pieds, la tête dans le brouillard, Caducée se dirigeait vers la petite vasque au bout de sa chambre. Bien avant de plonger ses mains dans l’eau froide, il frissonnait déjà.
- Pff… encore une interrogation d’Histoire ce matin… J’en ai marre !
Cependant Caducée aimait bien l’école. Il avait une soif de connaissance impressionnante pour un jeune de son âge. Arkanis, lui, pensait plus aux aventures et aux filles qu’à l’apprentissage ; normal pour un jeune de 15ans. Cependant, il avait une prédisposition aux sorts et aux magies d’attaques. « Quand je serai grand, je serai un sorcier, le plus puissant de tous les sorciers pour protéger tous ceux qui en ont besoins ». Koumkoum, lui, envisageait une carrière Rangers, Kama, elle, était plus attiré part les sorts de protections et de compétences. Quand à lui, Caducée s’intéressé plus au soin. La violence ne faisait pas partis de son vocabulaire. Il aimait l’herboristerie, étudiait la botanique. Il connaissait toutes les plantes médicinales, les remèdes des sages.
Après un rapide petit déjeuné, Caducée alla chercher Arkanis, Kama et Koumkoum pour aller à l’école.
Sur le chemin, il répétait sa leçon sur les conflits entre les dieux et les clowns, les héros de la guerre de Bubble et les croisades d’Azria. Arkanis, lui, rêvassait à son glorieux future et à sa popularité. Kama, nez au vent, jouait avec un papillon. Elle aimait observer la nature. Elle communiait avec elle. Ce qui n’était pas le cas de Koumkoum qui était plutôt brute avec ceux qui l’entouraient. Il donnait l’image forte et robuste d’un Big Bang, mais ses amis savaient que, sous cette carapace, se cachait un immense cœur. Toujours prêt à aider, tous savaient qu’ils pouvaient compter sur lui. D’ailleurs un lien spécial liés nos quatre héros. Un lien indivisible, invincible, qui venait sûrement du fait qu’ils étaient toujours ensemble, habitaient tous dans le même quartier de Flarine et qu’ils n’avaient que deux ou trois ans d’écart.
Arkanis fut sortie de sa rêverie lorsqu’il manqua de trébucher dans un trou.
- Grrr… ! Encore un de ces trou de malheur. Un de ses quatre, quelqu’un va se tordre la cheville.
- Et si tu regardais où tu marche, tu n’aurais pas de problème, lui dit Caducée, de manière très pragmatique. D’ailleurs je ne te demande pas si tu as révisé pour ce matin ?
- Arrête de faire ton intello, lui lança Arkanis. Tu as un don pour les études, moi pas.
- J’ai pas un « don » comme tu le dis, mais moi je m’intéresse à autre chose que les filles et la popularité, ce que tu n’auras pas si tu reste à rien faire.
- Dites donc « Môssieur je-connais-tout » je n’ai pas de leçon à recevoir de toi, dit Arkanis d’un ton exaspéré.
- Moi, au moins, répliqua Caducée, je sais quelque chose !
Kama et Koumkoum regardait la scène d’un air amusé. Koumkoum se rapprocha de Kama et lui glissa discrètement à l’oreille :
- Tiens ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de dispute entre ces deux là.
- Humm oui, tu as raison. On peut presque dire que ça manquait.
Pendant que Caducée et Arkanis se chamaillaient dans de puériles discussions inutiles, Kama et Koumkoum comptaient les points. C’est à ce moment là que la cloche de l’école sonna.
- Allez les jeunes, en cours et au trot ! hurla le surveillant principal. Caducée, Arkanis, dépêchez-vous sinon vous resterez se soir pour nettoyer les classes.
- Oui m’sieur « Croteur » dirent les deux jeunes tout bas.
- Pardon messieurs, qu’avez-vous dis ?
- Oui monsieur Kroten, articulèrent Arkanis et Caducée.
Le surveillant principal, Kroten, était l’une des figures emblématiques des croisades d’Azria. De formation mercenaire, il devint l’un des plus grand Chevalier de Madrigal. Il représentait tout ce que Koumkoum voulait devenir : un guerrier puissant, sage, respecté de tous.
***
**
*
Pendant ce temps, au nord-est, un grand malheur se préparait. Il y avait du mouvement du coté des Montagnes de Leren.
Une ligne de postes avancés avaient étés construits après la dernière attaque des monstres sur Flarine, attaque qui remonte à une trentaine d’années. Les troupes de monstres avaient, alors, étés mises en déroute par l’armée de Flarine.
Le maire de l’époque, Brasihis II, dit ‘‘Le sage’’, avait décrété la construction d’une ligne de sentinelle à quelques kilomètres des Montagnes de Leren, afin de prévenir de nouvelles attaques. Au fil des années, cette ligne fut laissait à l’abandon, probablement par manque de moyens, mais surtout comme ‘‘punition’’, comme bagne. Les conditions de vie y sont désastreuses. Un vent cinglant et quasi-permanent obligeait le port d’habits chauds, inconfortables et très cher. De plus, les Montagnes de Leren sont connues pour avoir seulement deux saisons, se manifestant par, soit de la neige, soit de la pluie. « Le soleil est aussi rare que la présence d’orichalques dans les restes d’un mob» comme disent les anciens. On entend aussi que ceux qui y vont, n’en reviennent pas.
La discipline militaire avait laissait la place à l’anarchie et le chaos. La priorité n’était plus la surveillance des mouvements de monstres, mais la survie. La ligne de surveillance était organisée en blocs, un bloc principal et quatre blocs secondaires. Dans le bloc principal, Bloc G, il y avait ce qui s’apparentait à un QG militaire où une console tactique et un poste de communication était toujours en fonction. Cependant, les résidents de ce bloc l’avaient condamnés - le trouvant inutile et préservant leur futile liberté.
Storme et Greng faisaient partis de ce bloc. Leurs journées sont rythmées de jeux de cartes, jeux de dés, trafics en tous genre. Le temps parait tellement long qu’il se compte de manière différente, en jours de saison. Sur le mur, un calendrier indiquait le 37éme jours du second hiver de la 245éme année.
Cette matinée commençait comme toutes les autres. Storme, en commandant du Bloc G se leva et sonna le réveil. Greng, qui était plutôt mollasson ignora le réveil et resta au lit.
- Pfff quel féniasse celui-là, se dit Storme. Greng ! Debout, le café est à faire et tu dois aller chercher la bouffe !
- C’est bon… j’arrive, dit l’ancien mercenaire.
Personne ne savait, en dehors des intéressés, pourquoi ils étaient là. Et comme personne n’en parlait, c’était la règle d’or. Quand tu arrivais au « front » - comme ils le nommaient - tu oubliais tout ce que tu avais vécu.
Storme faisait son tour habituel des blocs. Son expérience de Jester lui avait enseigné l’art du pistage et du repérage. Son charisme naturel lui avait permis de devenir le chef des résidents du « front ». Il avait entendu, il y a bien longtemps, au font d’une taverne de Saint Morning, que ceux qui étaient envoyé là-bas étaient nommé les « Parias ». A son arrivé, Storme changea la réputation des « Parias ». On peut entendre, dans les rues de Flarine notamment, que les « Parias » étaient devenus les « Résistants », en référence aux premiers hommes envoyé là-bas.
Alors que Greng s’afférait à la préparation du petit déjeuné, un bruit sourd se fit entendre à l’extérieur.
- Encore un boulet de sorcier qui s’énerve contre le mur, se dit à lui-même le mercenaire. Une fois la préparation fini, il alla appeler le reste des Résistants.
Storme arriva en dernier. Un joyeux brouhaha emplissait déjà la pièce de restauration. Tout le monde semblait là, or une place restait vide, ce qui n’échappa pas Storme.
- Où est Chegwi ? demanda Storme à Greng.
- Je ne sais pas. Il n’était pas dans ces quartiers ce matin. Linc, l’assassin qui vit à coté de chez lui, ne l’a pas vu ce matin. Son quartier était vide lorsqu’il se leva.
- Bien, merci Greng. J’irai le chercher après le repas.
Le repas se déroula sans histoire. Tout le monde allait vaquer à ses taches lorsqu’un second bruit, plus puissant et plus long se fit entendre. Un long frisson parcourue l’échine du chef des Résistants et le brouhaha joyeux fit place à un silence inquiétant. Tous ce regardèrent, ne sachant pas quoi faire. Les regards inquisiteurs se posèrent sur Storme qui, immédiatement brisa le silence :
- Résistants, écoutez moi. Je ne sais pas ce qu’il se passe. De plus, il manque quelqu’un parmi vous. Où est Chegwi ?
Un murmure parcourra l’assemblée. Tous regardaient à droite ou à gauche essayant, en vain, de trouver des réponses. Un autre bruit sourd, et plus proche cette fois-ci, se fit entendre. L’interrogation fit place à un sentiment inquiétant. La tension était palpable. Personne ne savait ce qu’il se passait, mais ils étaient tous d’accord pour dire que ces bruits n’étaient pas normaux. Un autre bruit se fit entendre, puis un autre et un autre. Ils étaient de plus en plus rapprochés et de plus en plus fort. Les lumières commençaient à se balancer au plafond. Des fissures apparurent le long des murs et de la poussière commença à envahir la pièce. Soudain, des bruits de pas se firent entendre dans le long couloir qui reliait les quartiers à la salle de restauration. Les pas se rapprochèrent de plus en plus vite. La lumière clignotait, puis s’éteint. Les bruits se turent. Les pas ralentirent. Storme avait tous ces sens en alertes. Greng avait l’air paniqué. Tous restèrent silencieux. Le temps se figea. Les secondes se transformèrent en heures. Le calme semblait s’être installé dans les Bloc G. Storme, avec un sang-froid qui le caractérise, prit la parole :
- Mes amis, mes frères. Je propose de mener une expédition dehors afin de voir ce qu’il se…
Une énorme explosion assourdissante se fit entendre. Un éclair de lumière vive aveugla les Résistants et un souffle d’une rare violence les projeta tous à terre. La poussière remplit la pièce telle une tempête de sable. Une alarme se fit entendre. Un grand nombre de Résistants ne se relevèrent pas. Étourdi et abasourdi Greng essaya tant bien que mal, de se remettre sur ces deux jambes. A sa droite, Storme était encore à terre, inanimé.
- Keuf, keuf… ! Storme… Storme… réveille toi, lui hurla Greng entre deux toux.
- Que… que se passe… que se passet-il, demanda Storme encore un peu sonné.
Il vit l’angoisse sur le visage de son ami. Malgré le chaos qui régnait, Storme regagna vite ses esprits.
- Greng, vas chercher tes affaires. Moi je vais essayer de trouver des survivants, ordonna le Jester.
- Mais… mais… qu’est-ce que… ?
- Exécution mercenaire, il n’y a pas de temps à perdre, tonna le chef des Résistants.
***
**
*
La classe était finie et nos quatre adolescents se rejoignirent près de la taverne de Gorgy.
- Alors Cad’, comment as-tu trouvé l’interro, demanda Arkanis.
- Comme à chaque fois, facile ! Fingers in the noz ! toi, je ne te demande pas car je connais la réponse.
- Ouai, c’est bon. Sans commentaire.
- Et c’est reparti, rigola Kama. On dirait un vrai petit couple.
- Ouai ba j’imagine si c’est deux là se reproduisent, on n’est pas sortis de l’auberge, se moqua Koumkoum.
Un fou rire général envahi les quatre jeunes. Gorgy apporta leurs consommations – un pichet de liqueur de Tarin avec du jus de pêche. Tous les quatre trinquèrent à la bonne humeur et à
leur amitié :
- Puisse-t-elle durer toujours, clama Kama.
- Puissions-nous jamais nous quitter, ajouta Koumkoum.
- Puissions-nous rester à jamais tels que nous sommes, fidèles à nos principes et à nos cœurs, dit Caducée en levant son verre.
- Puisse l’avenir nous apporter bonheur, gloire et… beaucoup de filles, lança Arkanis en souriant.
- Arkanis !!! hurlèrent les autres en riant. C’est plus fort que toi, répliqua Koumkoum.
- Et oui, que veux-tu, je suis comme ça.
Rien, en apparence, ne pouvait gâcher cette journée magnifique. La taverne était bondée. Une atmosphère de joie et de paix remplissait l’unique salle. Un groupe de jeunes musiciens itinérants jouait des musiques traditionnelles. Quelques personnes dansaient au son des pipos, des lyres et des banjos. Soudain, la vielle porte de la taverne s’ouvrit dans un claquement violent. Un vent glacial s’engouffra dans la pièce, chassant toute bonne humeur et joie. La silhouette d’un homme voûté se tenait sur le palier. Il fit un pas avant de s’écrouler au milieu de l’entrée. Un cri de femme se fit entendre. Gorgy vint voir ce qu’il se passait.
- Qu’est-ce que c’est, s’interrogea le vieux tavernier
- C’est Storme le Jester. Je croyais qu’il était là-haut, au « front », dit un homme derrière lui.
- Oui c’est un de ces Résistants. Il ne devrait pas être ici. Il a déserté, prévenait la mairie,
hurla un autre.
- Non attendez. Regardez, il est brûlé et blessé.
Les quatre adolescents se rapprochèrent de la scène. Storme essaya de se relever, sans succès. Un homme robuste le releva et l’assis sur une chaise.
- Storme, dis nous ce qu’il t’est arrivé. Pourquoi es-tu ici ?
- …
- Storme, m’entends-tu ?
- Vite… fuyez… Les… les… mon…stres… monstres…
Un spasme lui parcouru le corps. Il se raidit. Il toussa, crachant du sang de sa bouche. Dans un ultime effort, Storme ouvrit les yeux et plongea son regard vitreux dans celui de la personne en face de lui – Caducée – et lui dit :
- Ils nous attaquent… !
fin chapitre 2